Ma petite entreprise...
...connaît pas la crise !
L’entretien professionnel d’évaluation est un outil de management, c'est-à-dire de gestion des hommes considérés comme moyens.
Idéologie qui ne dit pas son nom, le management, rejeton du libéralisme, est au service d’une vision du monde qui vise la rentabilisation économique maximale de l’humain (= presser le citron à moindre coût dans un contexte de déréglementation générale).
Faisant foin des interactions sociales, des constructions collectives, des modes de production et des responsabilités politiques et institutionnelles, le management nous invite à devenir les entrepreneurs de nos vies et à les traduire en crédits/débits.
Dans notre collectivité, l’exercice managérial « entretien professionnel » adopte un format bâtard. Ni expérimental, ni statutaire, il nous habitue insidieusement à l’auto-flagellation professionnelle. Désormais, chaque année, nous présentons "le bilan de notre comptabilité existentielle pour faire la preuve de notre employabilité". L’objectif, non avoué, est à moyen terme la rémunération à la tête du client. A plus long terme, les évaluations serviront également dans le cadre de notre licenciement. L’évaluation opère une mise en concurrence généralisée qui détruira les solidarités et les collectifs de travail et donc l’identité au travail. L’administration viendra ensuite nous saouler avec des indicateurs de souffrance au travail.
Mais attention ! L’évaluation n’évalue pas grand’chose et surtout pas le travail. Elle instaure une relation pipée « évalué – évaluateur » tout entière sous le règne de la sujétion (suggestion?) hiérarchique. D’un côté, un évalué qui n’a aucune influence sur l’organisation du travail, ses missions et ses moyens. De l’autre, un chef de service promu « évaluateur » qui, sorti de son rôle de prescripteur, serait infoutu de définir en extension le travail de ses agents.
Car le travail prescrit n’est pas le travail réel soumis aux aléas, aux dysfonctionnements, aux incohérences organisationnelles…La partie invisible du travail que seuls les salariés pourraient rendre visible, échappe aux évaluateurs : les écarts par rapport aux prescriptions et aux procédures voire les infractions, les savoirs exclusifs qu’il vaut mieux ne pas partager, la difficulté à mettre le travail en mots, etc. Le travail réel s’inscrit dans cet entre-deux que le chef de service ne maîtrisera jamais, car le travail c’est également une connaissance incorporée non verbalisable et des souffrances déniées par l’agent par stratégie de sauvegarde.
Il faut pour jouer leur jeu de sadiques s’inventer des défauts, des failles, des carences, se charger de fautes improbables, se fixer des objectifs bidons ou intenables qui serviront à nous infantiliser un peu plus à l’évaluation suivante. Pas question !
Ne jouons donc pas le jeu, pervertissons le genre et n'acceptons jamais de nous dévaloriser. Il en va de notre estime de soi et de notre idéal du moi. Et dans peu de temps, il en ira de notre tête au sein d'une fonction publique décomplexée.